Le récent rapport du Groupe de travail de l’ONU sur la discrimination à l’égard des femmes, préconisant une dépénalisation totale du travail du sexe, a soulevé un tollé de réactions passionnées. Ce document controversé recommande de décriminaliser l’ensemble des activités liées à la prostitution consentie entre adultes, y compris le proxénétisme « non exploiteur », le racolage et la promotion de services sexuels.
Si cette proposition part d’une intention louable – mieux protéger les droits des travailleuses et travailleurs du sexe -, elle soulève de sérieuses interrogations par son caractère radical.
Tout d’abord, légaliser les formes de proxénétisme dites « non coercitives » paraît faire preuve d’un optimisme aveugle quant à la possibilité de tracer une frontière étanche entre arrangement mutuel et exploitation dans les relations entre travailleurs du sexe et tiers facilitateurs. Les dynamiques de pouvoir dans ce secteur sont complexes ; même lorsqu’il repose sur un accord initial, le proxénétisme peut glisser vers des dérives de contrôle et de captation de revenus. Dépénaliser cette zone grise sans mesures d’encadrement strictes risquerait précisément de renforcer la vulnérabilité des personnes que le rapport prétend défendre.
Autre sujet d’inquiétude : l’appel à décriminaliser purement et simplement le racolage et la promotion de services sexuels. Là encore, l’intention est compréhensible : il s’agit de permettre aux travailleurs du sexe d’attirer des clients et de faire connaître leurs services sans crainte de sanctions. Cependant, une telle mesure pourrait aussi favoriser des réseaux pratiquant la traite d’êtres humains sous couvert de travail sexuel « librement consenti ». Dans les faits, la frontière entre ces deux notions est poreuse. Un encadrement vigilant serait nécessaire pour prévenir les risques d’exploitation sous des apparences de légalité.
Plus largement, à force de se focaliser sur la dépénalisation comme solution miracle aux difficultés du secteur, le rapport en vient à négliger d’autres sujets cruciaux. L’amélioration concrète des conditions de travail, la protection sociale des travailleurs du sexe, leur plein accès aux services publics ou encore la lutte contre la discrimination culturelle dont ils font l’objet : tous ces aspects fondamentaux pour garantir leurs droits passent au second plan.
Surtout, cette approche uniformisatrice fait fi de l’extrême diversité des contextes nationaux et locaux. Entre pays riches et émergents, cultures latines, anglo-saxonnes ou asiatiques, les réalités sociales, légales et économiques entourant le travail du sexe varient du tout au tout. Une dépénalisation absolue de la prostitution pourrait se révéler bénéfique dans certains cas et désastreuse dans d’autres. Une analyse fine des enjeux propres à chaque société s’impose avant d’importer des modèles théoriques universalistes.
Les recommandations du Groupe de travail partent d’un constat juste : celui de violations massives des droits fondamentaux des travailleurs du sexe dans de nombreux pays. Cependant, en prônant une décriminalisation intégrale et sans nuance de la prostitution, y compris ses aspects controversés, ce rapport prend le risque de substituer un carcan idéologique à un autre, sans tenir compte de la complexité des situations vécues.
Une approche plus pragmatique, alliant dépénalisation ciblée de certaines activités et protection accrue des droits sociaux, semble nécessaire pour faire véritablement progresser la cause des travailleurs du sexe dans le respect des spécificités locales.
Le remède pourrait etre pire que le mal, à moins que… Ce ne soit voulu…