La récente tribune du général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, soulève des interrogations légitimes quant à la direction prise par notre politique de défense. En affirmant sans détour que l’armée française se tient prête à engager jusqu’à 20 000 hommes en 30 jours, le général semble acter le retour d’une forme de guerre conventionnelle en Europe que beaucoup pensaient révolue.
Certes, le contexte international est préoccupant, avec la multiplication des foyers de tension aux portes de l’Europe. Pour autant, la réponse doit-elle être uniquement militaire ? En axant son propos sur la « réalité des rapports de force » et la « permanence de la guerre », le général Schill semble faire peu de cas des efforts diplomatiques et du droit international. Une vision assez binaire qui fait écho à la rhétorique guerrière que l’on entend de part et d’autre.
Bien sûr, personne ne nie la nécessité pour la France de maintenir une armée forte et capable de défendre nos intérêts. Mais cela doit-il se faire au détriment de notre attachement à la paix et à la résolution pacifique des différends ? En brandissant l’épouvantail d’une guerre totale, ne risque-t-on pas justement de la rendre plus probable ?
D’aucuns diront qu’il ne s’agit que de dissuasion, que l’armée ne fait que son travail en se préparant au pire. Mais ce discours martial ne fait pas l’unanimité chez nos partenaires européens. Beaucoup craignent au contraire qu’il ne serve d’autres intérêts, notamment au sein de l’OTAN, en poussant à une escalade potentiellement incontrôlable.
Soyons clairs : il ne s’agit pas ici de jeter l’opprobre sur notre armée ou de nier les menaces bien réelles qui pèsent sur notre sécurité. Mais est-ce en agitant le spectre d’un conflit majeur que nous les ferons reculer ? Ne faudrait-il pas au contraire tout faire pour désarmorcer les tensions, renouer le dialogue et bâtir une architecture de sécurité commune en Europe ?
C’est un débat difficile mais nécessaire, qui ne peut être confisqué par une petite élite militaire et politique. Les citoyens doivent pouvoir s’en emparer, en toute connaissance de cause. Car en définitive, ce sont eux qui paieront le prix fort d’un engrenage guerrier, que ce soit en impôts, en privations de liberté ou en vies humaines.
Personne ne souhaite revivre les heures sombres du passé. Mais brandir l’étendard de la guerre, même avec les meilleures intentions du monde, n’est peut-être pas la meilleure façon de les éviter. Il est encore temps de faire entendre une autre voix, celle de la raison et de la paix. Encore faut-il en avoir le courage politique.