La demande exponentielle de la Chine pour l’e-jiao, une médecine traditionnelle à base de collagène extrait des peaux d’ânes, alimente l’abattage de millions d’ânes chaque année en Afrique, avec des conséquences désastreuses pour les populations locales qui dépendent de ces animaux.
Autrefois un produit de luxe réservé aux élites sous la dynastie Qing, l’e-jiao a gagné en popularité ces dernières années, porté par la série télévisée chinoise à succès “Empress in the Palace” et l’essor de la classe moyenne et du nombre de personnes âgées en Chine. Son prix a été multiplié par 30 en une décennie, atteignant près de 3000 yuans (420$) les 500 grammes.
Pour répondre à cette demande croissante, l’industrie de l’e-jiao nécessite environ 5,9 millions de peaux d’ânes par an, mettant une pression sans précédent sur les populations d’ânes dans le monde. La population d’ânes en Chine s’est effondrée de plus de 80% depuis 1992, poussant l’industrie à s’approvisionner massivement à l’étranger, en particulier en Afrique qui abrite la plus grande population d’ânes au monde[1].
Mais l’âne joue un rôle essentiel dans de nombreuses communautés rurales africaines, où il reste l’un des moyens de transport les plus abordables pour les biens et les personnes. “Lorsque la demande chinoise d’e-jiao perturbe ce rôle, des décennies avant que les pauvres d’Afrique ne puissent remplacer les ânes par des véhicules mécanisés, cela ne favorise pas la prospérité mais peut même entraîner un retour à la pauvreté, en particulier chez les femmes”, souligne Lauren Johnston, experte des relations Chine-Afrique.
Malgré l’interdiction d’exporter des ânes par certains pays africains, le trafic illégal et l’abattage clandestin restent endémiques sur le continent. Au Nigeria, des dizaines de milliers d’ânes sont abattus chaque année, souvent amenés illégalement du Niger voisin, puis conduits par camion dans le sud du pays où ils sont abattus et leur peau exportée vers la Chine.
En février, l’Union africaine a interdit l’abattage des ânes pour leur peau sur tout le continent, une décision saluée comme une étape majeure par les défenseurs du bien-être animal. Mais beaucoup craignent que la mise en œuvre ne soit difficile et que le commerce illégal ne perdure, d’autant que les ânes peuvent aussi propager des zoonoses lors de l’abattage ou du transport.
Face à l’effondrement des populations d’ânes, la Chine se tourne désormais vers le Pakistan ou l’Afghanistan pour s’approvisionner en peaux, souvent dans le cadre d’un commerce souterrain. Mais établir un système d’élevage capable de fournir les 5,9 millions de peaux nécessaires chaque année pourrait prendre plus de deux décennies, les ânes se reproduisant très lentement.
L’appétit insatiable de la Chine pour l’e-jiao met en péril non seulement les ânes, mais aussi les communautés africaines les plus vulnérables qui en dépendent au quotidien. Seule une application stricte de l’interdiction à l’échelle du continent, couplée au développement d’alternatives durables à base de collagène de synthèse, pourrait endiguer cette catastrophe annoncée. Le temps presse.
https://www.reuters.com/graphics/AFRICA-CHINA/DONKEYS/xmpjrdgbxpr/