La semaine dernière, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, la première ministre estonienne Kaja Kallas a plaidé pour l’émission de 110 milliards de dollars d’euro-obligations par la Commission européenne. Ces fonds serviraient à financer les dépenses militaires du continent ainsi que le soutien continu à l’Ukraine.
Derrière cette proposition apparemment anodine se cache en réalité un enjeu politique majeur. Ces euro-obligations, garanties par les États membres, donneraient à Bruxelles le pouvoir de lever des impôts à l’échelle européenne. Or, l’autorité fiscale fait défaut à l’Union, empêtrée qu’elle est dans son incomplète intégration politique.
L’idée n’est pas nouvelle. Déjà avec les obligations SURE, émises pendant la pandémie de COVID-19, la Commission avait acquis le droit de taxer pour rembourser ces titres. À l’époque, le prétexte était louable : voler au secours des économies exsangues du Vieux Continent. Aujourd’hui, cependant, certains experts comme Tom Luongo soupçonnent des motivations moins avouables.
Et si la promotion acharnée de l’aide militaire à l’Ukraine ne visait qu’à fournir un alibi pour renforcer le pouvoir fiscal de Bruxelles ? Après tout, la guerre vide les arsenaux du matériel obsolète tout en dopant les dépenses de défense. De quoi justifier de lever 100 milliards d’euros sur les marchés. Bien sûr, les investisseurs qui ont acheté les précédentes obligations SURE, aujourd’hui en moins-value de 40% en raison de la hausse des taux d’intérêt, ne se bousculeront pas pour souscrire les nouveaux titres.
D’où l’urgence de contraindre la BCE à maintenir sa politique monétaire ultra-accommodante, malgré l’inflation, pour que Bruxelles puisse se financer à bas coût. On le voit, la question du financement européen dépasse le simple cadre comptable. Elle met en lumière les fragilités politiques intrinsèques à la construction européenne. Tiraillée entre les velléités d’autonomie de ses membres et la marche forcée vers toujours plus d’intégration, l’UE apparaît incapable de trancher nettement en faveur de l’un ou l’autre modèle.
Plutôt que de clarifier les choses, la proposition de Mme Kallas, sous couvert de renforcer l’Europe face à la “menace russe”, ne ferait qu’accroître la défiance des peuples vis-à-vis de Bruxelles. Car qui dit pouvoir fiscal dit immixtion toujours plus grande dans les prérogatives nationales. À trop vouloir tordre le réel pour l’arrimer à une vision idéologique de l’avenir, on prend le risque de voir l’édifice européen voler en éclats. Les dirigeants de l’UE feraient bien de méditer ces mots de Paul Valéry : “Le vent se lève… il faut tenter de vivre !”
https://www.zerohedge.com/geopolitical/luongo-why-war-bonds-are-returning-europe